Le premier embarras de ma vie fut quand j’appris que ma naissance n’était pas désirée par mes parents. Déjà deux filles dans la famille ! Ma mère espéra un garçon pour enfin s’arrêter d’accoucher. À mon père manquait gravement quelque chose d’inexplicable, la dignité… la fierté…la continuité de sa génération, un vrai enfant dans la famille. Donc, ils attendirent avec impatience un garçon.
Maman prépara tous les vêtements en bleu
, mangea les mangues vertes avec du piment, était heureuse de sa peau couleur
de sapotille qui prouvait que je serai garçon. Papa fit les frais d’un
hôpital privé pour accueillir « le petit bijou » de la famille. Ils
attendirent deux semaines, maman mangea les meilleurs poissons blancs pour allaiter
le bébé et but de la poudre de lait importé d’Australie pour les os forts de son « futur »
garçon. Après deux semaines à l’hôpital aucun signe de la perte des eaux, ils rentrèrent
à la maison, car la fierté coûtait cher. Malheureusement, le soir de leur
arrivée la poche des eaux éclata avec grande joie. on hospitalisa ma mère immédiatement
à l’hôpital du village voisin.
L’humiliation. À
leur grande surprise et contre tous signes. C’était une fille.
L’amour maternel pour une fille était tellement fort
dans cette île, elle me refusa tout de suite. Une fille trop brune, comme un
singe. Pas comme les bébés aux joues joues roses dans les pubs à la télé. Une
troisième fille qui serait une grande responsabilité pour elle. Son refus était
justifié. Papa malchanceux la consola quand même disant que je rassemblais à ma
grand-mère maternelle décédée il y avait quelques années. La réincarnation
sauva ma vie et je fus acceptée tout de suite. Mais le karma était tellement
puissant que mes parents eurent une 4eme fille plus tard avant de gagner
un garçon à la loterie, au cinquième
tour !
Chaque fois, que j’entendais cette histoire, je me
sentais coupable de ma naissance et j'avais le sentiment que je ne méritais pas
d’être dans ma famille. Je n’avais pas pu donner ce bonheur à mes parents
dès ma naissance et j’avais toujours cru que ma naissance était une souffrance
pour eux. Donc, je voulais être un garçon.
Partout, j’écrivais un prénom masculin «
Samantha » en croyant que j’étais un garçon. Je refusais les
poupées en coupant leurs cheveux, je voulais une coiffure de garçon, grimpais
aux arbres et y restais pendant des heures, lisant des romans d’aventures. A l’âge de six ans,
mes meilleurs amis étaient les garçons, ils devinrent les héros de ma vie. Je
voulais faire exactement comme eux. Jouer au cricket, courir dans les champs de
riz avec les cerfs-volants assister aux fêtes de Vesak au temple... Je grandis
comme un cocotier sans aucune courbe féminine toujours avec la couleur d’un
singe noir comme ma mère disait souvent.
Mais cette liberté ne dura que quelques années. Un
jour, à l’âge de 13 ans j’eus mes premières règles. Ce fut la deuxième honte de
ma vie. On dit elle est tombée de l’arbre de jambose rose. Ça signifie
avoir des périodes. Oui, je tombai d’un arbre très haut, celui de ma dignité.
On m’isola dans une chambre noire loin des garçons, même mon père n’avait pas la
permission de me voir. Il y avait des bougies pour la lumière et des feuilles
de Neem sous le lit pour me purifier. On enleva aussi le miroir.
Les femmes du voisinage
vinrent chez moi. Elles avaient l’air toutes gaies. Elles
commencèrent à me donner des conseils que je n’avais jamais entendus. « Maintenant
tu es une grande fille. Il ne faut pas faire ça et ça ». Quels
droits avaient- elles sur moi ?
On me donnait seulement du bouillon amer comme si
j’avais attrapé une maladie. J’ai passé une semaine dans cet isolement en
attendant le jour propice pour sortir. Je ne pouvais ni aller à l’école
ni voir mes amis. Ce fut la semaine la plus noire de ma vie. Dehors, j’entendais
les femmes qui rigolaient, se précipitaient pour préparer les friandises pour
fêter mon premier sang. Maman a consulté un astrologue qui a dit exactement la
couleur de la culotte que je portais et prédit
que j’allais faire de grandes choses dans la vie car j’avais 4
planètes dans le même carreau dans mon horoscope. Un scorpion fort.
Une femme râpait la noix de coco pour préparer le riz
au lait alors que l’autre faisait frire le Kevum doré dans l’huile chaude. Papa était très occupé à inviter tous les
villageois pour la cérémonie et il acheta beaucoup de bouteilles d’Arrack pour
ses amis. L’astrologue recommanda la couleur Rose pour ma robe de cérémonie.
Moi, qui n’avais jamais porté de robes sauf l’uniforme à l’école, pleurais, refusant
de porter une robe rose à fanfreluches. Je ne voulais pas être une
Barbie. On m’a mis du maquillage partout. Le rouge aux lèvres: je n’osais pas parler ou manger de peur de gâcher
le maquillage, la poudre sur mon visage : je rassemblais à un clown, les
talons qui coupaient mes chevilles : je me sentais comme un de ces
pêcheurs sur échasses et cette robe longue ridicule m’étouffait.
Le matin de la cérémonie, je dus me réveiller très tôt
le matin car la Dhoby woman d’une caste inférieure Redi Nenda était venue me
donner le bain rituel en dehors de la maison. D’abord elle enleva mes boucles
d’oreilles en or et elle les garda disant que c’était mauvais pour la santé.
Alors, elle versa un premier seau d’eau glacial sur ma tête avec des fleurs de
jasmin et du curcuma pour me purifier. Elle m’ordonna d’ôter mes vêtements devant elle et d’enfiler la
robe. Je détestais tellement cette vieille femme, je
commençai à pleurer.
Ensuite, je dus craquer un coco avec un énorme couteau
comme ça je n’aurais plus de mauvais œil dans ma vie. Enfin, je dus allumer les
lampes à huile et me prosterner aux pieds à chaque adulte qui était présent, on
m’offrit de nouvelles boucles d’oreilles
en or, des colliers, des bracelets et beaucoup de cadeaux dont je ne
voulais pas. Une femme me donna des verres ! Je n’en comprenais pas
la raison.
Tout le monde était heureux sauf moi. Les villageois
étaient ravis de ce repas royal et ils mangèrent pour trois jours du riz jaune
au poulet avec quantités de currys, burent l’alcool gratuit et commencèrent à faire
la fête. Pourquoi étaient- ils si
heureux Comment mon sang leur donnait-il de la joie ?
Je dus accueillir tout le monde devant la porte. J’assistai
à ce spectacle comme un animal dompté dont le corps n’appartient qu’au
« Maître ». Je ne pouvais pas m’amuser du tout. Quand tout le monde
fut parti, je courus vers le frigo pour manger mon dessert préféré que papa
avait commandé pour la fête. La glace au chocolat.
À ma grande déception, il y avait plus de glace au
chocolat. Il n’en restait même pas une cuillerée. On avait tout fini pendant
que je saluais les gens. Maman a dit que ce n'était pas bien . On n’avait pas
pensé à moi. Je hurlai, pleurai, criai, déchirant ma robe rose. Je frémissais
de colère.
Et à ce moment-là, cette petite envie de manger une
glace au chocolat dont j’étais privée cruellement, car j'étais fille, me glaça
le cœur et je commençai à haïr mes gens et leurs rituels ridicules,
pour toujours.
Par Jahooli Devi
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